Il y a 4 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
1267Nos lecteurs savent bien l’admiration sincère que nous éprouvons à l’égard de Mikhaïl Gorbatchev, pour ce qu’il a fait, involontairement ou pas qu’importe, durant les années 1985-1991. Nous retrouvons, dans une chronique du 7 février 2011 de Tom Engelhardt, cette même admiration pour l’audace de Gorbatchev, pour cette formidable puissance psychologique qui lui permit de sortir du moule conformiste du système soviétique et réaliser l’attaque déstructurante contre ce système qui importait.
Aujourd’hui, observe Engelhardt, il n’y a pas d’“American Gorbatchev” en vue ; on peut même désormais se demander si la chose est seulement possible après l’avoir si souvent évoquée (pour notre compte, durant la période 2008-2009, avec BHO à l’esprit). C’est dire si, pour Engelhardt, les USA-2011 ne sont plus très loin d’être l’URSS-1989, et l’Egypte l’équivalent pour les USA d’une Pologne ou d’une Allemagne de l’Est en train de craquer durant la période 1987-1989. Nous empruntons, pour notre réflexion et notre commentaire, le passage qu’Engelhardt consacre à Gorbatchev, et à son absence aujourd’hui…
«The proximate cause of Washington’s defeat is a threatened collapse of its imperial position in a region that, ever since President Jimmy Carter proclaimed his Carter Doctrine in 1980, has been considered the crucible of global power, the place where, above all, the Great Game must be played out. Today, “people power” is shaking the “pillars” of the American position in the Middle East, while -- despite the staggering levels of military might the Pentagon still has embedded in the area – the Obama administration has found itself standing by helplessly in grim confusion.
»As a spectacle of imperial power on the decline, we haven’t seen anything like it since 1989 when the Berlin Wall came down. Then, too, people power stunned the world. It swept like lightning across the satellite states of Eastern Europe, those “pillars” of the old Soviet empire, most of which had (as in the Middle East today) seemed quiescent for years.
»It was an invigorating time. After all, such moments often don’t come once in a life, no less twice in 20 years. If you don’t happen to be in Washington, the present moment is proving no less remarkable, unpredictable, and earthshaking than its predecessor.
»Make no mistake, either (though you wouldn’t guess it from recent reportage): these two moments of people power are inextricably linked. Think of it this way: as we witness the true denouement of the Cold War, it’s already clear that the “Victor” in that titanic struggle, like the Soviet Union before it, mined its own positions and then was forced to watch with shock, awe, and dismay as those mines went off.
Among the most admirable aspects of the Soviet collapse was the decision of its remarkable leader, Mikhail Gorbachev, not to call the Red Army out of its barracks, as previous Soviet leaders had done in East Germany in 1953, Hungary in 1956, and Prague in 1968. Gorbachev’s conscious (and courageous) choice to let the empire collapse rather than employ violence to try to halt the course of events remains historically little short of unique.
»Today, after almost two decades of exuberant imperial impunity, Washington finds itself in an uncomfortably unraveling situation. Think of it as a kind of slo-mo Gorbachev moment – without a Gorbachev in sight.
»What we’re dealing with here is, in a sense, the story of two “abroads.” In 1990, in the wake of a disastrous war in Afghanistan, in the midst of a people’s revolt, the Russians lost what they came to call their “near abroad,” the lands from Eastern Europe to Central Asia that had made up the Soviet Empire. The U.S., being the wealthier and stronger of the two Cold War superpowers, had something the Soviets never possessed. Call it a “far abroad.” Now, in the midst of another draining, disastrous Afghan war, in the face of another people’s revolt, a critical part of its far abroad is being shaken to its roots.
»In the Middle East, the two pillars of American imperial power and control have long been Egypt and Saudi Arabia – along, of course, with obdurate Israel and little Jordan. In previous eras, the chosen bulwarks of “stability” and “moderation,” terms much favored in Washington, had been the Shah of Iran in the 1960s and 1970s (and you remember his fate), and Saddam Hussein in the 1980s (and you remember his fate, too). In the larger region the Bush administration liked to call “the Greater Middle East” or “the arc of instability,” another key pillar has been Pakistan, a country now in destabilization mode under the pressure of a disastrous American war in Afghanistan.
And yet, without a Gorbachevian bone in its body, the Obama administration has still been hamstrung. While negotiating madly behind the scenes to retain power and influence in Egypt, it is not likely to call the troops out of the barracks. American military intervention remains essentially inconceivable. Don’t wait for Washington to send paratroopers to the Suez Canal as those fading imperial powers France and England tried to do in 1956. It won’t happen. Washington is too drained by years of war and economic bad times for that.
»Facing genuine shock and awe (the people’s version), the Obama administration has been shaken. It has shown itself to be weak, visibly fearful, at a loss for what to do, and always several steps behind developing events. Count on one thing: its officials are already undoubtedly worried about a domestic political future in which the question (never good for Democrats) could be: Who lost the Middle East? In the meantime, their oh-so-solemn, carefully calibrated statements, still in command mode, couched in imperial-speak, and focused on what client states in the Middle East must do, might as well be spoken to the wind. Like the Cheshire Cat’s grin, only the rhetoric of the last decades seems to be left.
»The question is: How did this happen? And the answer, in part, is: blame it on the way the Cold War officially ended, the mood of unparalleled hubris in which the United States emerged from it, and the unilaterialist path its leaders chose in its wake…
Cette idée selon laquelle les USA se trouvent dans leur “Moment Gorbatchev”, – sans leur Gorbatchev, malheureusement pour eux, – commence à se répandre. On l’a vue chez Llewellyn Rockwell, Jr, le 6 février 2011, et l’attitude même d’Hillary Clinton ne dément certainement pas cette appréciation.
USA-2011 comme URSS-1989 ? De toutes les façons le destin type “URSS +” pour les USA (effondrement comme l’URSS, en considérablement pire) est une chose qu’on devrait juger comme acquise, un événement inéluctable du courant métahistorique qui règle aujourd’hui les événements. Mais 2011, est-ce le bon millésime, celui où se précipite l’inéluctable ? Nous croyons effectivement qu’il y a, avec l’Egypte, un événement important, – sans savoir, bien entendu, s’il est décisif. Il est d’abord psychologique, certes. L’attitude et les déclarations d’Hillary Clinton montrent que les dirigeants US commencent à être envahis par cette sensation, ou disons mieux cette intuition de l’inéluctabilité de la Chute (intuition non identifiée comme telle, eux-mêmes étant dans l’incapacité d’identifier des systèmes de pensée hors-Système). Ces dirigeants US ne peuvent l’exprimer exactement de cette façon, – et sans doute s’en garderaient-ils s’ils le pouvaient, – parce que leur pensée trempée au moule conformiste du Système repousse encore les apports pressants de la psychologie ; mais les expressions employées, à des propos suffisamment ambigus pour qu’on puisse les appliquer au destin américaniste, les attitudes, les aveux implicites d’impuissance nous tracent un tableau éloquent. A cette lumière, certes, l’absence d’un “American Gorbatchev” est un formidable handicap, peut-être la faiblesse décisive… Quelle responsabilité historique sera celle d’un BHO, qui pouvait l’être et qui recula devant cette perspective ?
(…A moins que nous acceptions l’hypothèse d’un machiavélisme du grand courant métahistorique dont nous parlons et des influences qu’il exerce. On avancerait alors que, dans le contexte de l’américanisme, avec un Système activant d’une façon extraordinairement efficace et zélée son propre processus d’autodestruction, le fait de refuser d’être un “American Gorbatchev”, qui pourrait avoir comme effet au contraire du vrai Gorbatchev avec l’URSS de freiner ce processus d’autodestruction en entravant le “bon” fonctionnement du Système, – cela ce serait être le véritable “American Gorbatchev” tant espéré… Est-ce le cas, BHO ? Pas de réponse, certes, ce qui pourrait être aussi bien le signe qu’on toucherait juste, ce qui serait donner le crédit qui importe à l’influence du courant métahistorique, – ce qui n’est ni déplacé, ni exagéré.)
Il est indubitable que le fait psychologique signalé est d’une importance considérable. L’apport psychologique est décisif en ce sens qu’il force, sans résistance notable de l’esprit puisqu’il s’effectue de manière non consciente, le processus intellectuel à évoluer vers des hypothèses que les interdits du Système écartent péremptoirement en temps normal, – cela, pour les directions politiques qui ont pour consigne d’assurer les mécanismes de fonctionnement du Système.
D’autre part, dans quel contexte, avec les USA, se manifeste aujourd’hui ce fait psychologique ? Engelhardt développe une observation intéressante. Il remarque que l’URSS s’est écroulée dans le cours irrésistible de la dynamique de l’effondrement de son “extérieur proche”, c’est-à-dire son glacis est-européen qui représentait l’assise fondamentale de cette puissance (la Russie) essentiellement continentale et traditionnellement arcboutée sur ses frontières terrestres, surtout à l’Ouest. Le point de rupture était donc bien lié au sort de l’“extérieur proche”. Les USA, puissance maritime, avec une activité systématique de projection de forces, ont organisé leur puissance sur un “extérieur lointain”, si l’on veut une sorte de “glacis globalisé” qui est le pendant, comme verrou fondamental de la structure de “l’Empire”, du “glacis est-européen” de l’“Empire” continental qu’était l’URSS. Bien entendu, l’Egypte est un élément de cet “extérieur lointain”, et un élément fondamental puisqu’il verrouille avec l’Arabie Saoudite le Moyen-Orient pour le compte des USA. (Dans ce cas, Israël ne fait pas partie du dispositif : ce n’est pas un élément de la structure moyenne orientale, mais, du point de vue US, une sorte de greffon stratégique de la puissance US dans le flanc de cette région ; Israël peut frapper dans cette région, mais il ne peut assurer la structure de cette région.) Nous partageons cette interprétation sans l’avoir formulée si justement et si brillamment que le fait Engelhardt (“extérieur lointain”, équivalent de l’“extérieur proche” de l’URSS), puisque nous insistions notablement, dans notre
On peut alors admettre que l’analogie entre l’URSS-1989 et les USA-2011, à propos de la crise égyptienne, en plus d’être symboliquement justifiée, présente des similitudes de situation réelle très intéressantes. L’hypothèse d’un enchaînement catastrophique n’est décidément pas à repousser, elle doit être au contraire considérée avec attention et nous engager à suivre avec une attention redoublée la suite des événements, – au Caire et dans le monde arabe certes, mais encore plus à Washington.
Mis en ligne le 8 février 2011 à 06H51
Forum — Charger les commentaires